Cet homme est libre
Les publicitaires ne pensent plus qu'à notre bien-être !
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Avez-vous remarqué les publicités dans votre revue agricole ? On y voit un agriculteur souriant (c'est rare par les temps qui courent) et ce slogan : « Cet homme est libre. Votre nouvel antiparasitaire libère votre esprit et vous ouvre de nouvelles perspectives. » Une autre : « Protégez l'environnement et relaxez-vous ! » « Elle est enceinte... Offrez-lui le meilleur aliment tarissement. » Depuis un certain temps, on ne voit plus la photo de cette jeune agricultrice allongée dans un champ d'herbe parsemé de boutons d'or avec : « Offrez-vous une pause ration sèche. »
Avec la crise, les messages technico-économiques ont de plus en plus de mal à passer. Le prix des antiparasitaires n'a pas baissé, le retour sur investissement est donc moindre. Avec le surcoût des matières premières, de la fabrication et du transport, la ration sèche qui était difficilement rentable avant ne l'est plus du tout aujourd'hui. Alors, on surfe sur la vague du bien-être, non pas de l'animal mais de l'éleveur. « Relaxez-vous. » « Offrez-vous une pause. » Ces messages ne sont pas anodins. La rencontre des éleveurs de l'Arc atlantique (de l'Écosse au Portugal) montre des divergences dans la conception du métier. Les Espagnols et les Portugais ont des logiques très intensives avec beaucoup de lait sur très peu d'hectares. Les Français parient sur le duo maïs-fourrage et subissent les problèmes d'environnement. Les Anglais, les Irlandais et les Écossais misent beaucoup sur l'herbe. Lors des discussions, les laitiers français insistent sur la qualité de vie et aspirent à un allégement des contraintes de travail, ce qui étonne leurs homologues étrangers qui mettent en avant l'entreprise et sa valorisation.
Avec l'effet 35 heures, les publicitaires ont bien senti le vent tourner et insistent sur le confort apporté par un produit ou un système. On passe d'un discours technique à des slogans subjectifs qui touchent l'affectif : « Plus qu'un vermifuge, il libère votre esprit et vous ouvre de nouvelles perspectives. » Je connais certaines herbes et substances illicites qui libèrent l'esprit et ouvrent de nouvelles perspectives, mais je ne savais pas que mon antiparasitaire procurait des effets secondaires qui n'ont sans doute pas été étudiés lors de l'obtention de l'AMM. Dois-je me l'administrer en pour-on ou en intraveineuse ? Je comprends maintenant pourquoi lorsque je traite mes vaches, elles sont toutes guillerettes et cabriolent au milieu des pissenlits.
Après TF1 qui vend du temps de cerveau disponible à ses annonceurs, voilà les rations sèches et les vermifuges qui s'occupent de notre bien-être. C'est ahurissant le nombre de commerciaux et de publicitaires qui prennent soin de nous. Quel est celui qui ne s'est jamais laissé avoir par un bonimenteur censé nous vendre le produit miracle qui rendra nos vaches heureuses et notre porte-monnaie plus léger ? Et que dire du nouveau matériel révolutionnaire qui va nous permettre de gagner du temps et transformer la vie en rose, à défaut de nous en faire voir de toutes les couleurs?
« Vos vaches vous le rendront bien » : cette phrase prend toute sa valeur depuis que la recherche génomique prouve que nous avons plus de gènes en commun avec la vache qu'avec la souris. Je n'oserais plus traiter mon pire ennemi de peau de vache depuis que je sais que cette bête est peut-être mon arrière-grand-tante. C'est stupéfiant de se dire qu'il y a cent millions d'années, nous avions un ancêtre commun. Avec les hasards de l'évolution, nous aurions pu avoir quatre pattes et des cornes. Et moi qui croyais descendre du singe ! Il est temps de dire aux publicitaires que les producteurs de lait ne sont pas bêtes à manger du foin. Ma grand-mère a eu cette remarque pleine de bon sens : « Ces publicitaires vendraient des congélateurs aux Esquimaux. »
PASCAL POMMEREUL
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